Chapitre
14
Artis Decerto
Pour James, les vacances de Noël se terminèrent bizarrement. Puisque ni lui, ni Rose ou Albus, n’avait quitté l’école, ils n’eurent pas à endurer un triste voyage de retour. Au contraire, ils eurent l’impression que l’école leur revenait. Quand la plupart des autres arrivèrent, le dimanche, James et Rose étaient assis devant une fenêtre ensoleillée qui surplombait la cour. En silence, ils regardèrent le déchargement des bagages et des sacoches, et virent les élèves monter les marches pour rentrer au château. L’énorme bonhomme de neige que James, Rose et Albus avaient érigé au début des vacances supportait mal le redoux. Sa carotte de nez pendait tristement, et un des bras épais s’était écroulé. De la neige fondue coulait des toits et des terrasses. Pour une fois, James appréciait la fin des vacances : il avait envie de retrouver les cours, et les répétitions de la pièce.
De façon étrange, aucun d’eux n’avait aperçu Merlin durant les vacances. James avait croisé une fois le professeur McGonagall devant son bureau, et il lui avait posé la question dans le couloir. La sorcière avait répondu que Merlin passait ses vacances au château.
— Bien entendu, le directeur n’a plus aucune famille, avait-elle remarqué. De plus, à son époque, les traditions de Noël devaient être différentes. James, Merlinus Ambrosius est un homme solitaire et secret à l’extrême, comme tu as pu le remarquer. Même s’il avait d’autres plans, je doute vraiment qu’il nous en ait fait part.
Quand les cours recommencèrent, James réalisa que l’ambiance du second semestre était différente du premier. Parmi les élèves les plus âgés, il y avait un regain de sérieux dans le travail et les études. James était ravi de ne pas avoir l’âge requis pour passer des B.U.S.E. ou des A.S.P.I.C.
Les cours de Défense contre les Forces du Mal reprirent, et le professeur Soufflet apprit à ses élèves de nouvelles techniques concernant les arts martiaux magiques – qu’on appelait Artis Decerto. L’attitude de James envers le professeur s’était transformée depuis sa rencontre avec Salazar Serpentard, au sommet de la Tour Sylvven. Il avait été réellement surpris de mettre à si bon usage l’apprentissage défensif de Soufflet. Il prêta donc une attention toute particulière aux nouveaux mouvements : ça ressemblait à une danse. En réalité, il s’agissait de bouger le plus souplement possible, d’être toujours en mouvement pour éviter les sortilèges agressifs. En guise d’exemple, Soufflet demanda à la classe de s’aligner, baguette tendue. Un par un, tous les élèves devaient jeter une attaque de leur choix – Sortilège de Désarmement, Maléfice Explosif ou Cuisant, Stupefix – sur Soufflet.
Avec un sourire, le professeur gesticula d’un pied à l’autre.
— Ça va être drôle, marmonna Trenton Block, en agitant sa baguette.
Dès que le premier sortilège fut jeté, Soufflet l’évita avec une aisance déconcertante. Il semblait à peine regarder les élèves alignés. Il effleurait d’un coup d’œil la baguette qui s’agitait, puis se tournait, se baissait, plongeait ou même pirouettait, laissant le sortilège glisser autour de lui sans jamais l’atteindre. Parfois, il ne l’évitait qu’à quelques centimètres, mais James dut admettre que la démonstration était surprenante. Il fut d’autant plus déterminé à ce que son maléfice atteigne son but. Il décida de viser le pied de Soufflet qui, après tout, restait fixé sur le sol. Quand arriva son tour, James leva sa baguette, fit semblant de viser la poitrine du professeur, puis aussi rapidement que possible, il la baissa et tira. Avant même que le sortilège ait quitté sa baguette, Soufflet avait sauté, et fait une légère pirouette. Le Maléfice Cuisant de James ne heurta que son ombre. En retombant, le gros homme se trouva à quatre pattes. Puis il poussa un grognement, se releva, et récupéra sa baguette qui était tombée durant son mouvement.
— Nom de Zeus ! s’écria Graham Warton.
Toute la classe applaudit de façon unanime. Kendra Lecoin leva la main.
— Dans combien de temps réussirons-nous à faire la même chose ?
— Patience, jeunes gens, patience, répondit Soufflet en s’essuyant le front avec une serviette. Artis Decerto s’apprend une vie durant. Il y a des mouvements spécifiques et physiques, certes, mais c’est avant toute une discipline mentale. Il faut utiliser ses dons en lévitation, divination, et même parfois en transplanage. L’idée générale pour le sorcier est de deviner le prochain mouvement de son adversaire, pour éviter d’être à l’endroit attendu au moment où le sortilège frappera. Seuls les plus maladroits des sorciers ne comptent que sur leur baguette. Un sorcier véritablement doué éprouve rarement le besoin de la sortir.
Si James n’aimait pas le professeur Soufflet, il comprit immédiatement qu’Artis Decerto valait la peine de faire un effort. Il mit donc que tout son cœur à s’entraîner aux exercices pratiques et mentaux que le professeur exigea, même s’ils paraissaient incroyablement difficiles – et sans la moindre utilité.
— Connaissez votre adversaire mieux que lui ne vous connaît, ordonna Soufflet. Et ça ne vous demandera pas des années d’études. La plupart des sorciers se connaissent très peu eux-mêmes. Il est important de juger immédiatement autrui, de mesurer sa force et sa faiblesse. Si vous y réussissez, vous aurez toujours un atout majeur en main, parce que vous saurez où l’ennemi frappera avant même qu’il ne l’ait décidé. Et vous aurez déjà préparé votre défense, et même éventuellement votre contre-attaque.
— Quand arriverons-nous à ça ? demanda Trenton, frustré, en baissant sa baguette. J’en ai assez d’essayer de lire l’esprit d’un autre. Je veux faire de la vraie magie.
— Quand le temps viendra, Mr… Euh… jeune homme, répondit Soufflet en agitant la main. Avant ça, vous devez comprendre la logistique de la bataille. Aucune action ne doit être entreprise avant que vous n’ayez déjà prévu ses conséquences. La clé de la réussite est dans la planification et l’organisation. La magie n’est que l’un des choix qu’un sorcier intelligent peut utiliser. À chaque étape de la bataille, il y a au moins trois autres options pour un guerrier. La première est de maudire son adversaire.
Kevin Murdock agita sa baguette devant son partenaire, et mima un Sortilège de la Mort.
— Boum ! Tu es mort ! Et c’est ce que j’attendais, dit-il avec entrain.
— C’est une réponse complètement stupide, mon jeune ami, dit Soufflet. Voudriez-vous la tester avec moi ?
Le visage de Murdock s’empourpra lorsqu’il se souvint de la façon dont le professeur avait évité la myriade de sortilèges jetés par les élèves. Il secoua la tête rapidement, et baissa sa baguette. Soufflet approuva sa réaction.
— Bonne réponse, mon garçon. Vous venez justement d’illustrer la seconde option qu’un sorcier peut choisir dans la bataille : attendre, et voir ce que fera son adversaire. Un guerrier intelligent sera capable d’exploiter les actions de son adversaire, et de les utiliser contre lui. Si vous avez un jour l’occasion d’assister à une bataille, vous aurez probablement la chance de vous trouver devant des ennemis mal entraînés ou indisciplinés, des ennemis qui croiront que leur bravoure, leurs pouvoirs, ou leur enthousiasme seront suffisants pour leur donner la victoire. Mesurez ses ennemis, attendez qu’ils bougent, et sachez le moment précis où ils le feront. Si vous réussissez cette étape, vous aurez la bataille en main.
Trenton Block roula les yeux, manifestement peu satisfait.
— Quelle est la troisième option alors ?
— Mes jeunes amis, répondit Soufflet en levant les sourcils, la troisième option est de quitter le champ de bataille, de s’en aller.
— C’est-à-dire s’enfuir ? demanda Morgane Patonia, étonnée.
Soufflet secoua la tête, avec un sourire sombre.
— Pas du tout. Un vrai guerrier ne s’enfuit jamais, mais il sait quand une bataille ne vaut pas la peine d’être combattue. Parfois, c’est parce que l’ennemi est trop grand ou trop faible. Dans les deux cas, il n’y a aucune valeur à trouver dans cette bataille. Un vrai guerrier, chers élèves, sait quand il ne faut pas combattre.
— C’est très inspirant, marmonna Trenton, peu impressionné.
James le regarda, puis à nouveau il se tourna vers le professeur. Il comprenait le mécontentement de Trenton, mais après son duel contre Salazar Serpentard, dans un lointain passé, James n’était pas enclin à refuser la technique de Soufflet avec autant de désinvolture qu’auparavant.
Quelques semaines plus tard, le printemps commença à s’annoncer dans les jardins de l’école. Durant les heures de Botanique, Neville Londubat emmenait ses élèves faire des recherches sur le terrain, pour identifier dans leur contexte naturel certaines plantes magiques ou arbres. Plus ou moins enthousiastes, les élèves marchaient derrière lui dans la Forêt Interdite, ou sur les berges boueuses du lac.
— De nombreuses plantes magiques se sont adaptées à un environnement moldu en se déguisant, déclara Neville avec entrain, agenouillé au bord du lac. Ils prennent l’aspect de plantes inoffensives Par exemple, ce plan de Spionuspertuis s’acclimate dans d’autres territoires comme des orties et s’assure ainsi qu’aucun Moldu ne tentera de l’arracher ou de le cultiver. Vous pouvez voir la différence à cette légère lueur violette au début de la feuille. Une fois la plante arrachée… (Neville qui agrippa la tige et tira doucement dessus, arrachant les racines de la terre humide,) vous voyez le renflement caractéristique du Spionuspertuis, très utile dans de nombreuses potions et élixirs.
Ashley Doone tenait sa plante à la main, racines en l’air.
— Je ne vois pas de renflement, dit-elle. Je ne vois que des racines normales.
Neville leva les yeux.
— Euh… En fait, Miss Donne, votre plante n’est pas une ortie déguisée en Spionuspertuis, mais une ortie tout à fait authentique.
— Berk ! s’écria Ashley.
Elle laissa tomber sa plante, et se frotta énergiquement les mains sur sa robe.
— Allez à l’infirmerie, dit Neville avec un soupir. Mrs Gaze a un baume qui vous soulagera, mais vous devriez vous hâter, sinon vous allez avoir des cloques rouges et gonflées.
Comme tous les autres, Ralph et James se retournèrent pour voir Ashley courir vers le château à toutes jambes. Puis Ralph baissa la voix pour dire à James :
— Tout est organisé pour la réunion du club de Défense ce soir ?
— Oui, j’imagine, répondit James. J’ai à peine revu Scorpius depuis la rentrée des vacances. À mon avis, il n’a plus rien à nous apprendre.
— Tu penses ? J’ai appris de lui des tonnes de choses. Son grand-père doit vraiment connaître son affaire.
— Oui, Lucius Malefoy était un Mangemort, et l’un des pires sorciers que mon père ait jamais connus, répondit James. C’est aussi l’un des rares à n’avoir jamais regretté son passé, même si le vieux Voldy est mort depuis longtemps. Malefoy est toujours en cavale, il se cache quelque part. Il doit toujours attendre l’avènement des pur-sang. Il connaît beaucoup de magie noire, y compris les trois sortilèges impardonnables.
Ralph haussa les épaules.
— On s’en fiche ! Je suis bien content que Scorpius ait appris tout ce qu’il sait. Avec ce qui nous attend, entre Merlin et le Gardien maudit, j’ai envie d’apprendre autant de sortilèges et de malédictions que possible.
— Je ne sais pas trop, dit James en baissant la voix. Je commence à me demander si nous n’avons pas tout pris à l’envers.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
James poussa un soupir.
— Je veux dire que Soufflet a peut-être raison quand il nous demande de réfléchir à ce qui fait un grand combattant magique. Peut-être passons-nous bien trop de temps à apprendre des sortilèges de désarmement ou de Stupéfixion. Peut-être devrions-nous plutôt commencer à nous entraîner aux techniques d’Artis Decerto qu’il nous a montrées.
Ralph secoua la tête.
— James, je ne peux pas faire ce genre de choses. Regarde-moi. Zane a raison. Je suis trop lourd.
— Tu n’es pas plus lourd que Soufflet, et tu as vu ce qu’il arrive à faire ? Il a évité tous les sortilèges que nous lui avons jetés, comme s’il savait exactement où ils allaient l’atteindre. À le voir, on dirait franchement que c’est facile !
— En général, les choses qui ont l’air facile ne le sont pas du tout. Et il a dit qu’il fallait toute une vie pour apprendre ce truc, Artis Decerto.
— Et alors ? Qu’est-ce que tu as prévu d’autre pour le reste de ta vie ? demanda James, avec un sourire. Tu veux être grand à quelque chose ou pas ?
Ralph se mit à rire.
— Tu penses que Scorpius peut aussi nous apprendre ce truc ?
— Il n’y a qu’un moyen de le savoir, répondit James, un sourcil en l’air.
Mais ni Ralph ni James ne virent Scorpius de toute la journée. En marchant jusqu’au gymnase pour le rendez-vous du club de Défense, Rose montra peu d’enthousiasme à l’idée d’utiliser le club pour s’entraîner aux techniques d’Artis Decerto.
— Vous savez très bien que Soufflet n’apprend rien aux filles, dit-elle, furieuse. C’est un parfait crétin quand il s’agit de la ségrégation des sexes, il ne veut pas de femmes au combat. Et pourtant, en Histoire, certaines sorcières se sont illustrées au cours des siècles. N’a-t-il jamais entendu parler de Chlorasse la Fumeuse ou de Ghika von Guggenheim ? Et même, plus récemment, de Bellatrix Lestrange et de celle qui l’a tuée, grand-mère Weasley.
— Peut-être que Soufflet n’a jamais entendu parler de ta grand-mère Weasley, répondit Ralph en réfléchissant, mais sinon, tu as raison.
— Par nature, une femme est plus encline à être bonne en Artis Decerto, continua Rose. Après tout, nous sommes plus gracieuses et plus intuitives.
— Peut-être que tu devrais être notre professeur, alors, dit James, sans sourire.
— Parfaitement ! répondit sa cousine, en lui jetant un regard noir.
Ils entrèrent dans le gymnase et s’arrêtèrent net. La plupart des membres du club criaient et applaudissaient, réunis en une foule serrée autour des automates. Des éclairs de lumière verte éclairaient le groupe, mais James ne voyait pas d’où ils provenaient.
James et Rose traversèrent la foule. Étant plus grand que Rose, James fut le premier à voir ce qui se passait. Les élèves rassemblés formaient un demi-cercle autour de Tabitha Corsica, Philia Goyle et Albus. Les trois Serpentard souriaient gaiement en jetant des sortilèges sur leurs cibles mécaniques. Les mannequins se tordaient, crachaient de petits boulons et ressorts, et restaient immobiles, une fois vaincus.
— Assez ! hurla Rose, les joues rouges. Qu’est-ce que vous faites ? Arrêtez immédiatement !
Tabitha chuchota une incantation, jeta un dernier maléfice au mannequin, puis elle leva sa baguette. Et se retourna ensuite pour regarder les nouveaux arrivants.
— Bonsoir, Rose, James, dit-elle. Où est le parchemin que nous devons signer ? Je tiens absolument à suivre le règlement et les formalités nécessaires.
— Quels sortilèges as-tu jetés ? demanda Rose, les deux poings sur les hanches.
— Du calme, Rosie, intervint Albus qui avait rangé sa baguette. C’était juste pour s’amuser. Ce n’est qu’un mannequin, tu sais.
Rose pivota vers Albus.
— Tu as utilisé un sortilège de la Mort ! Comment peux-tu faire ça ? Il n’est pas question d’arriver dans ce club pour utiliser des sortilèges impardonnables, surtout celui-là. Tu vas tous nous faire mettre à la porte.
— La loi est plutôt vague quand il s’agit de s’entraîner aux sortilèges impardonnables sur des objets inanimés, Rose, dit Tabitha, avec un sourire indulgent. De plus, quel est l’intérêt d’avoir un club de Défense si nous n’apprenons aucune technique véritablement utile.
— Parce que tuer quelqu’un est ton idée d’une technique « véritablement utile » ? cracha James.
Tabitha le regarda en clignant des yeux, puis elle prit un air étonné.
— Pourquoi pas ? demanda-t-elle. C’est efficace, tu ne crois pas ?
— Elle a raison, dit Nolan Frelon, un des amis Serpentard de Tabitha, dans la foule des élèves. Soufflet est un nullard. Il ne nous apprend rien d’utile. Je veux apprendre à combattre pour de vrai.
Il y eut un chœur d’agréments.
— Bien sûr, nous n’avons pas l’intention de prendre le contrôle de votre club, dit Tabitha, en rangeant sa baguette. Nous sommes là pour apprendre, comme les autres.
— Mais si personne ne sait apprendre aux autres un basique sortilège Doloris, intervint Philia, je ne vois pas comment vous espérez vaincre ceux qui n’hésiteront pas une seule seconde à vous lancer un sortilège de la Mort.
La foule des élèves bavardait avec excitation.
— C’est vrai ! cria quelqu’un. Nous devons être prêts à combattre le feu par le feu.
— Est-ce que tous les Serpentard sont complètement idiots ? déclara une voix.
James leva les yeux, et vit Joseph Torrance traverser la foule.
— C’est la façon dont les gens comme vous agissent, non ? Vous foncez directement vers la magie noire. Vous n’avez qu’une seule optique, vous êtes vraiment bornés.
Il y eut dans la foule d’autres réponses plus ou moins inaudibles. Quelques personnes s’écartèrent de Joseph, comme s’ils craignaient que Tabitha l’ensorcelle sur place.
— Quand une optique fonctionne, dit Tabitha avec son plus charmant sourire, je ne vois pas pourquoi en changer. Il ne s’agit pas d’être borné, mais d’être efficace.
— Assez ! cria James. (Quand la foule commença à s’agiter, il leva les mains, et se tourna vers les membres du club.) Nous avons créé ce club, Ralph, Rose et moi, et il est supposé s’adresser aux élèves de première à quatrième année.
« (Il se tourna vers Tabitha et Philia, et les fusilla du regard.) Pour les élèves plus âgés, comme ces deux-là, Soufflet leur enseigne ce qu’il faut en Défense contre les Forces du Mal. Ce club a été créé pour que nous puissions nous entraîner sur les bases défensives. Il n’a jamais été question d’apprendre les sortilèges impardonnables.
— Et pourquoi pas ? coupa Frelon, le visage dur. Pourquoi tout le monde s’efforce que nous ne sachions pas nous défendre ?
Il y eut à nouveau un chœur d’approbation. Puis diverses disputes éclatèrent entre les élèves. James cria plusieurs fois, pour rappeler les autres à l’ordre, mais personne ne l’écoutait. Le groupe semblait se dissoudre dans le chaos le plus total.
Un craquement sonore se répercuta dans toute la pièce, surprenant tout le monde. James leva les yeux, en essayant de déterminer d’où le bruit venait. Une trace de fumée surplombait les élèves et, en la suivant des yeux, James vit Scorpius à la porte, les yeux étrécis, un léger sourire aux lèvres.
— Vous voulez vous entraîner sur des sortilèges impardonnables ? demanda-t-il d’une voix traînante. Au cas où vous l’auriez oublié, c’est moi le professeur ici. Vous autres, les Serpentard, vous êtes nouveaux, aussi je laisserai passer, mais quelqu’un d’extérieur pourrait avoir l’impression que vous essayez de prendre le contrôle de ce club.
Le sourire charmant de Tabitha s’était durci : on aurait dit un requin quand elle regarda Scorpius.
— Ah, votre professeur est un « première année », dit-elle. Je suis sûre que Scorpius Malefoy vous apprendra tous ce qu’il sait. Est-ce que ça inclut comment devenir un traitre et vivre à l’encontre de toutes les valeurs et les traditions de sa famille ?
Scorpius soupira en rentrant dans la pièce.
— Pas avant l’année prochaine, répondit-il aimablement. Mais quand on arrivera à comment tourner sa veste pour poignarder les autres dans le dos, je crains que tu n’aies rien à apprendre. Je te dispenserai de cette session.
Quand Scorpius arriva au centre du groupe, il se plaça entre Tabitha et Albus – qui le regardait avec un dédain manifeste.
— Excuse-moi. (Scorpius bouscula Albus d’un coup d’épaule. Il se tourna pour faire face au groupe, et sortit sa baguette de sa cape avec un grand geste.) Vous souhaitez apprendre les sortilèges les plus puissants, pas vrai ? Vous souhaitez savoir comment vous défendre et, plus encore, comment combattre des ennemis ? Eh bien, contrairement à ce que vous pourriez croire, je n’ai pas l’intention de vous arrêter. Vous apprendrez ces choses. Et je serai celui qui vous les enseignera.
« (Une fois encore, Scorpius étrécit les yeux et regarda James durement, comme pour le défier de le contredire.) Je suis peut-être en première année, mais dans ma famille, comme « Tabby » l’a mentionné, nous avons des traditions en ce qui concerne les sortilèges mortels. Je vous apprendrai tous ceux que m’ont appris mon père et mon grand-père.
« Et la première chose qui est importante, continua Scorpius qui se tourna vers Philia, le visage rigide, est de se taire quand le professeur parle. En dehors de cette pièce, tu es peut-être une cinquième année, et je suis un sale traître de Gryffondor, mais ici, tu es une élève, et moi ton instructeur. Maintenant, tu peux changer d’avis et ne pas te joindre aux autres membres de ce club.
Le visage de Philia était rouge de colère.
— Je vais t’apprendre à me parler sur ce ton, espèce de…
— Ça suffit, Philia ! coupa Tabitha, amusée. Scorpius a raison. Nous sommes dans leur club. Nous devons suivre leur règlement… pendant que nous sommes dans cette pièce. Voyons un peu ce qu’il peut nous apprendre puisqu’il a, de toute évidence, été si bien formé.
Scorpius défia Philia du regard, histoire de voir si elle comptait lui répondre malgré l’avertissement de Tabitha. Au bout d’un moment, le visage de la jeune sorcière se durcit, mais elle rangea sa baguette et croisa les bras.
— C’est bien ce que je pensais, dit Scorpius qui fit face, une fois de plus, aux membres du club. Commençons par le commencement. Vous devez apprendre à vous défendre, à combattre les uns envers les autres, et à lancer des Stupéfixion avant qu’il soit utile de vous apprendre des sortilèges plus puissants. Si vous sautez les bases, vous serez une cible évidente pour quiconque saura se servir de sa baguette. Heureusement, nous avons déjà progressé sur les techniques de base, et j’espère que nos nouveaux amis Serpentard nous rattraperont vite. Plus tard, quand vous aurez appris ces techniques, vous serez prêts pour… ceci !
Scorpius pivota sur les talons, leva le bras, et pointa sa baguette sur l’automate cassé.
— Avada Kedavra ! cria-t-il, en montrant les dents.
L’éclair qui jaillit de sa baguette fut si lumineux, si vert et si puissant qu’il illumina toute la pièce. Il frappa le mannequin à la poitrine, ses bras et jambes s’écartelèrent, en tremblant violemment. Puis il y eut un claquement mécanique, le mannequin quitta son socle et s’écroula en tas sur le sol.
Scorpius le regarda, les dents toujours à découvert, les yeux étrécis.
Nolan Frelon quitta la masse agglutinée des élèves pour venir heurter le mannequin avec son pied. Un boulon en émergea, et roula sur le sol.
— Pas à dire, dit le garçon avec un hochement de tête, tu l’as zigouillé.
Il y eut quelques applaudissements nerveux. Rose regarda James, les yeux écarquillés et inquiets. D’après son expression, elle demandait : « Qu’est-ce qu’on fait ? » James secoua la tête, lentement.
— C’est bien mieux que ce que je croyais, grand frère, dit Albus en envoyant un coup de coude à James. Génial.
Un peu plus tard, en quittant le gymnase, James s’approcha de Ralph.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il. Où étais-tu ?
Sur la défensive, Ralph lui jeta un coup d’œil.
— Quoi ? Mais j’étais là bien sûr, avec toi, dans le gymnase. Tout le temps.
— Tu n’as rien dit quand Tabitha et Goyle se sont pointées pour tuer les mannequins.
— Effectivement. (Ralph se mit à avancer plus vite.) J’ai eu l’impression que toi et Rose étiez parfaitement capables de régler le problème.
— Régler le problème ? Parce que tu appelles perdre pied « régler le problème » ? Scorpius veut leur apprendre des sortilèges impardonnables !
Ralph ne répondit rien. Il continua à marcher. Très en colère, James le regarda puis tout à coup, il étrécit les yeux.
— Bien sûr ! Toi aussi tu veux les apprendre, pas vrai, Ralph ?
Ralph resserra les lèvres, refusant de répondre. James se plaça devant lui, le forçant à s’arrêter dans le couloir, mais ce fut Ralph qui parla le premier.
— Ne fais pas ça, James, dit-il les yeux baissés, en secouant la tête. Écoute, tu es mon meilleur ami dans cette école, mais nous venons de deux mondes différents. Vous êtes peut-être très gentils et courageux à Gryffondor, avec des idées bien arrêtées sur des choses comme les sortilèges impardonnables, mais moi, ça me paraît logique de les apprendre. Je suis désolé.
James en resta bouche bée.
— Ralph, il y a une raison pour laquelle ils sont appelés « impardonnables ». Nous ne pourrions même pas les utiliser pour lutter contre le Gardien si besoin était. Cette chose n’est même pas humaine. Alors, quel est l’intérêt de les apprendre ?
Ralph détestait les confrontations, mais James remarqua pourtant que son ami se forçait à le regarder droit dans les yeux.
— James, dit Ralph, tu n’aurais pas utilisé un sortilège impardonnable pour empêcher Voldemort de tuer tes grands-parents ?
James recula d’un pas, sans voix. Il voulut répondre, mais Ralph continua, lui coupant la parole.
— Et quand mon oncle a tué le père de Ted Lupin, hein ? Est-ce que tu aurais utilisé un sortilège impardonnable pour l’en empêcher ? Et même quand mes propres grands-parents ont abandonné mon père dans un orphelinat moldu, en lui disant qu’ils ne voulaient plus de lui, parce qu’un Cracmol n’était pas digne d’être leur fils ? J’aurais vraiment aimé que quelqu’un leur jette un Sortilège de l’Impérium, tu sais, pour les forcer à le ramener à la maison, et à l’aimer comme tout parent devrait le faire. Tu penses vraiment qu’on décide parfois de ne pas utiliser ce genre de choses parce que seuls les « méchants » connaissent les sortilèges impardonnables ?
James bafouilla, choqué par la férocité tranquille qu’il lisait dans les yeux de Ralph.
— Ralph, je… non ! Je voulais…
Ralph secoua la tête, et se détourna.
— Je ne peux pas te blâmer de ne rien comprendre, James, mais franchement, si utiliser un sortilège impardonnable ramenait les gens que tu as crus à jamais perdus, pourquoi ne pas le faire ? Si ça pouvait rendre les choses qui t’ont été prises par des gens stupides, égoïstes… pourquoi pas ? (À nouveau, Ralph de se tourna pour regarder James, et il avait les yeux brillants.) Moi, James, je le ferais. Vraiment. Sans même réfléchir une seconde.
Sur ce, Ralph passa devant James, et s’éloigna dans l’obscurité du couloir. James savait qu’il n’y avait aucun intérêt à le suivre, mais il était terrorisé par ce qu’il venait d’apprendre de son ami. Il n’avait vu jamais vu tant de passion dans ce garçon, si grand, si calme, et pourtant, elle avait toujours été là, cachée sous la surface.
Quand Rose rattrapa James, elle secoua la tête, très inquiète.
— Il faut qu’on coince Scorpius dans la salle commune ce soir, dit-elle. Il est toujours là-bas, entouré par tous les autres. Il leur montre comment lancer un maléfice de levicorpus. James ? Qu’est-ce qu’il y a ?
James indiqua « rien » d’un signe de tête, mais il regardait toujours dans la direction où Ralph avait disparu.
— Je ne sais pas, Rose. Rien ne va de la façon dont j’aurais cru. Et pour te dire la vérité, je ne sais pas du tout ce que je dois faire à ce sujet.
— Je vais te dire ce que tu dois faire, James, répondit Rose sérieusement.
James la regarda, le front plissé.
— Et alors ? C’est quoi ?
— La même chose que tu as faite l’an passé, quand tu as eu des ennuis, répondit Rose, en levant les sourcils. Va demander de l’aide à quelqu’un qui sait quoi faire.
Au début de la semaine suivante, James n’avait toujours pas parlé à Scorpius pour évoquer son discours au dernier rendez-vous du club de Défense. Il en avait eu l’opportunité, bien sûr, mais il ne savait pas quoi dire. James connaissait suffisamment Scorpius pour savoir que lui ordonner de ne pas apprendre aux membres du club des sortilèges impardonnables ne suffirait pas. Au contraire, il est probable que Scorpius se sentirait obligé de commencer par eux à la prochaine réunion. James envisagea de retirer à Scorpius le poste de professeur, mais il était le premier à reconnaître que le garçon pâle était excellent dans ce rôle, et qu’il connaissait énormément de sortilèges.
Pour James, le pire était de ne pas pouvoir discuter de ce problème avec Ralph, parce que lui aussi, voulait apprendre ces horribles malédictions. James arrivait à comprendre ce que Ralph lui avait expliqué, mais les raisons que son ami avait données appartenaient au passé. Apprendre les sortilèges impardonnables ne ramènerait pas les grands-parents de James, ni le père de Ted. Ralph pensait peut-être que de telles tragédies pouvaient encore arriver dans l’avenir, et il voulait être préparé à les affronter. Dans les deux cas, c’était inquiétant. Depuis leur conversation dans le couloir, Ralph restait morose et silencieux. James décida que ce serait aussi bien de le laisser tranquille un moment.
Heureusement, James eut une belle distraction le mardi en Soins des Créatures Magiques, et il oublia un moment tous ses soucis quand Hagrid mena les élèves derrière la grange, en leur demandant le silence. D’un geste de son énorme main, le demi-géant indiqua aussi aux élèves de rester derrière lui.
— Grawp a pris le coup de main, chuchota Hagrid, mais je préfère ne pas le distraire. Promener un dragon est une tâche périlleuse.
Quand le groupe arriva, sur la pointe des pieds, à l’angle de la grange, James jeta un coup d’œil par-dessus Ralph, pour tenter de mieux voir. Non loin, à l’orée de la Forêt Interdite, Grawp marchait très lentement, en regardant derrière son épaule. Il avait quelque chose attaché à l’avant-bras, pour se protéger, et ça ressemblait à une porte blindée. Le géant tenait à la main une énorme chaîne dont l’autre extrémité était verrouillée à un collier, autour du long cou de Norberta. Étrangement, le dragon avançait tranquillement derrière Grawp, reniflant le sommet des arbres. Elle s’arrêta un moment et baissa la tête, fouilla le sol de son groin, grondant pour une raison quelconque.
— Norberta adore trouver de grasses petites taupes, chuchota Hagrid. Elle doit les sentir sous la terre. Elle serait parfaite pour déparasiter un terrain, si elle ne mettait pas souvent le feu aux arbres. Aujourd’hui, l’air est bien humide, aussi j’ai pensé que ce serait parfait pour une petite promenade.
— Elle peut mettre le feu à Grawp ? demanda Morgane Patonia. C’est pour ça qu’il se protège avec cette porte blindée ?
Hagrid secoua la tête.
— Non, elle adore Grawp, vraiment ! Elle y tient encore plus qu’à moi. Elle ne crache jamais de feu sur lui. La porte n’est qu’une simple mesure de précaution. L’an passé, Mrs McGonagall était encore directrice et elle m’a demandé que Grawp soit toujours protégé. Maintenant, c’est juste par habitude.
Grawp tira un peu sur la chaîne parce que Norberta restait en arrière, à renifler un tronc d’arbre. La bête s’appuya de tout son poids contre le tronc, et s’y frotta, comme pour calmer une démangeaison. L’arbre énorme frémit, avec un craquement audible.
— Je me demande qui gagnerait dans un combat entre le Saule Cogneur et Norberta, chuchota Graham avec un sourire.
— C’est une question idiote, répondit Ashley en secouant la tête.
— Oui, mais je paierai quand même pour voir ça, insista Graham. Le Combat des Titans ! Imagine un peu.
Ashley leva les yeux au ciel.
— J’imagine, et c’est toujours complètement idiot.
— Grawpy, ne la laisse pas arracher cet arbre ! cria Hagrid, les mains en porte-voix autour de la bouche. C’est un orme morose, et il n’en reste pas beaucoup.
Le géant tira plus fort sur la chaîne, mais Norberta s’entêta. Mécontente, elle balança sa queue qui heurta le flanc de la colline, la terre trembla. Puis le dragon sembla renifler quelque chose, à la lisière des arbres. Elle planta ses griffes dans le sol, écarta les arbres de ses épaules massives, et cracha un bref jet de flammes jaunes. Grawp fut incapable de la retenir.
— Qu’est-ce qu’elle a vu ? demanda Hagrid inquiet. (Il se tourna vers les élèves.) Euh… il faudrait peut-être que vous retourniez dans la grange – juste par sécurité.
Bien entendu, personne ne lui obéit. Au contraire, les élèves cherchèrent tous à en voir davantage, mais aucun d’eux ne s’aventura à passer devant Hagrid.
— Du calme, Grawpy, cria Hagrid d’une petite voix. Ne tire pas trop fort. Laisse-lui un peu de mou dans sa chaîne. Il ne faut pas l’énerver. Qu’est-ce que…
Quelque chose de petit et jaune venait d’émerger des arbres, comme si l’apparition du dragon l’avait effrayé. La bestiole jaillit des pattes de Norberta et monta tout droit vers le ciel.
— Oh non ! s’exclama Hagrid. Alors c’est ça qu’elle a senti.
Avec un mouvement sinueux de son long cou, Norberta se jeta en avant, les mâchoires ouvertes, et tout son corps suivit. Grawp fut soulevé du sol, mais il ne lâcha pas la chaîne. Il atterrit avec un bruit de tonnerre sur le sol boueux, et glissa sur l’herbe humide derrière Norberta et sa proie.
— Tout le monde à l’intérieur ! cria Hagrid, en écartant des bras protecteurs. C’est un gargoule que Viktor Krum m’a apporté, et Norberta adore ça. Le gargoule s’est échappé il y qu’à quelques jours, et je le croyais en route pour la Bulgarie. Grawp ! Retiens-la ! Surtout, ne la lâche pas !
Le sol vibrait sous les pas furieux du dragon qui courait derrière la petite créature jaune, tirant toujours le géant derrière elle. Des geysers de boue jaillissaient derrière Norberta. Aucun des élèves n’avait bougé. James regardait le spectacle, les yeux écarquillés, sans trop savoir s’il était amusé ou terrifié. Le gargoule avait la taille d’un chat, le jaune d’un canari, et quatre ailes vrombissantes. Il avait aussi une longue queue touffue qui traînait derrière lui et fouettant l’air. James trouvait cette petite bestiole absolument adorable. Norberta attaqua encore, elle bondit, ses mâchoires claquèrent, mais elle le rata de quelques centimètres. Bousculé derrière le dragon, Grawp était toujours héroïquement accroché à sa chaîne, et il essayait de freiner la bête enragée.
Hagrid se lança aussi à la poursuite du dragon, à flanc de colline.
— Très bien, Grawpy ! cria-t-il. Je vais lui attraper la queue, si j’y arrive. Toi, tu restes à son cou. Oh !
Le gargoule venait de changer de trajectoire, et montait tout droit vers le ciel, échappant au dragon. Norberta ouvrit immédiatement ses ailes, et fila derrière lui en rugissant, le géant toujours accroché à elle.
— Je croyais qu’elle ne pouvait pas voler ! s’exclama Graham.
Les autres élèves commencèrent à s’agiter nerveusement, et reculèrent vers l’abri relatif de la grange.
Le gargoule devina peut-être aussi que la grange pouvait lui offrir une meilleure sécurité, aussi il redescendit vers les élèves. Norberta le suivit. Elle était étonnamment rapide pour sa taille, malgré son aile blessée. Les élèves s’enfuirent dans toutes les directions dès que l’ombre menaçante les surplomba, venant du ciel. Grawp pendait toujours au bout de la chaîne, et dégoulinait de boue. Hagrid courait de tous les côtés, les bras tendus, comme s’il avait l’intention d’attraper l’énorme dragon.
— Tiens bon, Grawp ! cria-t-il à son demi-frère. Tu l’as ! Ne la lâche pas.
Norberta rugit encore et se débattit pour rester en l’air. Sa queue fouetta rageusement, et renversa la cheminée de la grange, envoyant des morceaux de pierre voler alentour. Le gargoule, de plus en plus paniqué, se mit à tourner en rond. Mais la petite créature jaune avait sans doute réalisé que le dragon ne volait pas normalement. Aussi, une fois de plus, il visa le ciel, et les lointains nuages.
— Grawp ! Attention ! cria Hagrid. Elle va cracher.
Norberta poussa une dernière fois sur ses ailes épaisses, tendit son très long cou, et rugit. Cette fois, le rugissement produisit un long jet de flammes d’un blanc bleuté. L’onde de chaleur se répandit sur la colline, et James la sentit passer à travers ses cheveux. Ensuite, avec un bruit terrible, le dragon atterrit sur ses quatre pattes griffues. Et Grawp retomba auprès d’elle. Il était couvert de boue et d’herbe, mais il se redressa immédiatement, et noua ses deux bras autour du cou de la bête pour la maintenir au sol. Le dragon n’essaya pas de s’envoler. Elle leva la tête, mâchoire ouverte. Quelques secondes plus tard, une petite forme noire et brûlée descendit du ciel, laissant derrière l’un sillage de fumée. Le gargoule tomba directement dans la gorge de Norberta, qui l’avala avec un plaisir manifeste.
Hagrid secoua la tête.
— Quel dommage ! dit-il. Il est très difficile de trouver un gargoule. Mais il n’aurait pas dû s’enfuir, je l’avais prévenu. Bon, heureusement que personne n’a été blessé. Grawpy, tu n’as rien ?
Le géant lâcha doucement le cou du dragon, et s’écarta d’un pas, tenant toujours le bout de sa chaîne. Il se tourna pour regarder Hagrid.
— Grawp a de la boue dans le nez, dit-il, mécontent.
— Désolé, Grawpy. Bon, maintenant on va ramener fifille dans sa stalle, hein ? (Il se tourna vers les élèves, et leur adressa un regard implorant.) Il serait peut-être mieux que nous gardions ce petit incident entre nous, si ça ne vous gêne pas.
James se tourna vers Trenton, qui avait jadis menacé d’écrire à ses parents au sujet de la ménagerie effrayante du demi-géant.
Trenton remarqua le regard de James.
— C’était absolument dément ! dit-il avec force.
Plus tard, lorsque James et Ralph quittèrent la grange pour revenir au château, ils passèrent devant les serres où le professeur Londubat donnait ses cours de Botanique aux « première année ». La classe venait de se terminer, et James repéra Scorpius.
— Je te verrai plus tard au déjeuner, Ralph, dit James, en s’écartant. J’ai un truc à faire, et quelqu’un à voir.
Ralph ne répondit pas, et James savait pourquoi : son ami avait deviné ce qu’il voulait faire. Quand Scorpius entendit James arriver, il s’arrêta et se retourna. Puis il renversa la tête comme pour examiner les nuages bas.
— Je me demandais quand je te verrai, Potter, dit-il.
— J’imagine. D’ailleurs je voulais te parler avant même la dernière réunion du club de Défense.
— Bien entendu, dit Scorpius avec un sourire pincé. Tu veux m’empêcher d’apprendre aux autres les sortilèges difficiles, pas vrai ?
— Non, pas du tout, répondit James. J’y ai réfléchi. Je ne peux pas t’empêcher de montrer aux membres du club ce que tu as appris de ta famille. De plus, si les autres n’apprenaient pas ça de toi, ils iraient voir Tabitha Corsica et Philia Goyle. Non, je voulais te parler d’autre chose…
James s’arrêta. Il avait du mal à continuer. Il était conscient que l’avis de Rose était excellent, mais il ne savait pas trop comment l’utiliser. Maintenant, il avait bien une idée… Aussi, il prit une profonde inspiration, et demanda, les dents serrées :
— J’ai besoin que tu m’aides.
— Que je t’aide ? répéta Scorpius, les yeux soupçonneux. Comment ?
— À tenir Tabitha et les autres sous contrôle, répondit James. Écoute, tu le sais aussi bien que moi : ils ne veulent pas apprendre des sortilèges et des malédictions pour combattre les méchants, ils veulent juste les apprendre pour abuser des autres. Notre club de Défense avait pour but d’apprendre aux gens des sortilèges de défense basiques, et des techniques, mais je pense à présent que c’est plus que ça. À mon avis, nous pourrions l’utiliser pour nous entraîner à ce que nous apprend le professeur Soufflet, afin de devenir de vrais combattants. Nous pourrions progresser en Artis Decerto. Soufflet a démontré que ces techniques étaient vraiment efficaces. J’aimerais devenir le meilleur possible. Et après tout, ça peut venir en plus des sortilèges que nous avons déjà appris. Et ce sera plus facile, quand tout le monde saura les utiliser, que tu leur apprennes… (James déglutit,) les sortilèges impardonnables, si tu l’y tiens toujours.
— Attends un peu, voir si je t’ai bien compris, dit Scorpius d’une voix traînante. Quand tu as commencé le club de Défense, c’était parce que tu n’aimais pas la façon dont Soufflet refusait de nous laisser utiliser la magie. Et maintenant, tu veux que ce club devienne un endroit où on s’entraîne à ces trucs débiles qu’il nous apprend ?
James soupira.
— D’accord, raconté comme ça, ça paraît complètement crétin. Mais c’est quand même la vérité. Dans tous les cas, si Corsica, Goyle ou même Albus continuent à venir au club pour tuer nos mannequins, ils vont insister pour apprendre les sortilèges impardonnables, et sauter tout le reste. Il y a peut-être certaines personnes qui peuvent gérer ces sortilèges, mais pas tout le monde. Et à mon avis, surtout pas sans connaître les bases.
— Alors, fiche-les dehors, dit Scorpius en haussant les épaules. Tu as ouvert ce club. C’est toi qui décides qui peut y entrer. Je ne vois pas le problème.
— Je ne peux pas juste les ficher dehors, dit James, exaspéré. Dans les règles, il est inscrit que le club est ouvert à tout le monde. Mais toi, tu sais comment leur parler. Ce que tu as fait au dernier rendez-vous était vraiment étonnant. Ta famille comprend la façon dont les Serpentard réagissent. J’ai besoin de ton aide pour qu’ils ne flanquent pas tout en l’air.
Scorpius le regarda, les yeux étrécis.
— Ce n’est pas parce que mon père m’a convaincu de t’aider à revenir du miroir du Riséd que nous sommes devenus les meilleurs amis du monde, Potter. Je suis professeur dans ton club parce que ça me plaît, et non parce que tu me l’as demandé. Je ne vois pas pourquoi c’est toi qui déciderais ceux qui peuvent ou ne peuvent pas apprendre les sortilèges impardonnables.
James regarda Scorpius en réfléchissant.
— Tu n’y crois pas, dit-il. Tu essaies juste de me mettre en colère, et je ne sais même pas pourquoi. Si tu croyais que tout le monde pouvait apprendre ces sortilèges, tu les aurais déjà appris à la dernière réunion, ou tu aurais laissé Corsica et Goyle le faire. Au contraire, tu as distrait l’attention des autres avec un maléfice de Levicorpus. Tu ne veux peut-être pas l’admettre, Scorpius, mais tu es d’accord avec moi.
— Potter, répondit l’autre, en se détournant, pourquoi serais-je d’accord avec toi ?
James regarda le garçon pâle s’éloigner.
— Parce que tu es aussi un Gryffondor. Et je sais que le choixpeau ne se trompe pas.
Scorpius ne s’arrêta pas. Il continua à avancer vers le château. James resta planté un moment, puis il soupira, et lui aussi se mit en marche. Il espérait seulement que malgré sa réaction blasée, Scorpius se donnerait au moins la peine de réfléchir à ce que James lui avait demandé.
Ce fut en fait Albus qui raconta un jour à James ce qui s’était passé.
Le mardi suivant, alors que Tabitha, Philia et Albus se rendaient au gymnase pour la réunion hebdomadaire du club de Défense, ils croisèrent Scorpius qui arrivait d’une autre direction.
— Venez ici, j’ai à vous parler, dit-il à voix basse.
En même temps, il tenta de mettre un bras autour de Tabitha et Albus. Immédiatement, Tabitha sortit sa baguette, et la pointa sur le poignet de Scorpius.
— Enlève ta main, ou je te l’arrache, annonça-t-elle.
— D’accord, d’accord, répondit Scorpius. Pas la peine d’être aussi nerveuse, je suis là pour vous aider.
— Comme si nous avions besoin de ton aide, abruti, dit Albus, méprisant.
— Crois-le ou pas, mais je suis venu vous éviter un méga problème, gronda Scorpius, en le regardant dans les yeux. Le petit club de ton frère va être interdit, et je ne pense pas que ça se passera bien pour ceux qui seront dans le gymnase au moment où ça arrivera.
Le visage de Philia exprima ses soupçons.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Apparemment, un élève bien intentionné a prévenu le professeur Soufflet que certains trouvaient ses techniques discutables, et avaient ouvert un club pour apprendre de la magie et des sortilèges de Défense. Et je crois bien qu’il a été mentionné que les sortilèges de la Mort ont déjà été utilisés.
Tabitha étudia le visage de Scorpius.
— C’est vicieux, dit-elle. Mais dis-moi, pourquoi ferais-tu une chose pareille ?
— Je n’ai pas dit que c’était moi, remarqua Scorpius d’un air innocent.
— Il ment, dit Albus. Il ne ferait jamais ça à ceux de sa maison.
— Vous devriez vous écarter un moment, dit Scorpius.
Il les fit entrer dans une classe déserte et jeta un coup d’œil dans le couloir. On entendait des voix, qui approchaient rapidement. Puis Soufflet apparut, poussant Rose devant lui, et elle paraissait très inquiète.
— Ainsi, c’est vous et James Potter qui êtes responsables de cette histoire, disait Soufflet d’une voix bourrue. Il est pourtant le fils du directeur des Aurors du ministère. J’aurais dû savoir qu’il me causerait des ennuis. Et il y en a un troisième impliqué, non ?
— Eh bien, bafouilla Rose, en quelque sorte, oui. Nous n’avons plus à vous le cacher. Vous verrez vous-même très bientôt ce qui se passe.
Rose et Soufflet passèrent devant Scorpius, et elle lui jeta un regard furibond. Scorpius se contenta de sourire d’un air moqueur. Quand ils eurent disparu, Albus, très en colère, se tourna vers le garçon pâle.
— Pourquoi fais-tu ça à mon frère ?
— C’est comme ça que tu me remercie de t’avoir prévenu ? J’imagine que le sang parle toujours, même entre maisons ennemies, pas vrai ?
— Vraiment, Scorpius, ajouta Tabitha, tu ne vas pas arranger tes affaires avec ceux de ta maison.
— Ceux de ma maison sont aussi faibles qu’arrogants, gronda Scorpius. Ils n’ont pas le cran d’apprendre de la vraie magie. C’est devenu évident la semaine passée, quand vous êtes arrivés au club. J’ai besoin de m’associer avec vous. Oui, oui, je sais, dit-il en levant la main, quand Philia voulut le contredire, je suis un Gryffondor. Et alors ? Quelle est l’importance de ce genre de détail ? Si les noms signifiaient quelque chose, le petit Albus serait déjà en train de vous défier en duel, toutes les deux. Les Serpentard et les Potter ont toujours été des ennemis mortels, non ? De toute évidence, c’est du passé, et tant mieux. Je ne demande pas de devenir membre de votre stupide club Crocs et Serres, je suggère simplement d’ouvrir un nouveau club qui se réunirait dans la salle d’entraînement de Serpentard. Et nous serions libres de nous entraîner sur ce que nous voulons, en secret.
— Et tu daignerais être notre professeur ? demanda Philia avec un sourire amer.
— Je ne pense pas, répondit Scorpius. Je ne suis pas certain de pouvoir être un membre régulier. De plus, j’imagine que c’est un groupe qui s’entraînera essentiellement, aussi vous pourrez apprendre les uns des autres. Personne ne sera là pour vous interdire quoi que ce soit. Par contre, j’aimerais avoir accès à la salle commune de Serpentard. C’est la moindre des choses après le service que je vous ai rendu ce soir. Comme tu l’as dit la semaine passée, Tabitha, ma famille a effectivement des traditions chez Serpentard.
— Espèce de petit rat ! s’exclama Philia. Tu fais ça uniquement parce que tu détestes d’avoir été envoyé chez Gryffondor.
— Avoir un anneau pour rentrer chez les Serpentard ne fait pas de toi l’un des nôtres, dit Tabitha, la tête haute, avec un sourire. Aucun Gryffondor n’a jamais libre accès dans nos quartiers. Pourtant… je crois que nous pourrons trouver un arrangement profitable.
— C’est tout ce que je demande, répondit Scorpius avec entrain. Et maintenant, je dois y aller. Ça serait plutôt suspect si je suis le seul absent quand le petit club de James passera sous la guillotine. À bientôt.
Les trois Serpentard regardèrent Scorpius tourner les talons, et partir dans la direction où Soufflet avait entraîné Rose.
Quelques minutes plus tard, Scorpius approcha des portes closes du gymnase. À travers les vitres, il vit qu’il faisait sombre à l’intérieur. Il s’arrêta, et écouta. Il entendit des voix plus loin dans le couloir, renvoyant des échos. Il suivit le bruit, tourna à gauche au prochain couloir, et arriva dans un grand espace avec de hautes fenêtres sur un côté. James et Rose étaient là, avec Soufflet, au centre du sol de marbre. Ils regardaient tous en l’air, le cou renversé. Soufflet avait sa baguette tendue, et il visait prudemment. À plusieurs mètres du sol, Ralph était suspendu par une cheville, la tête en bas.
— Nous essayions juste un nouveau sortilège, expliqua James. C’est le maléfice de Levicorpus. Je ne savais pas qu’il fallait un contre-maléfice pour le faire redescendre.
— Tiens bon, Ralph ! cria Rose, qui se tordait les mains pour simuler son inquiétude.
Dégoûté, Soufflet secoua la tête.
— C’est exactement pour ça que je n’enseigne aucune magie défensive aux jeunes élèves, aboya-t-il. Ils n’ont aucune idée des conséquences. Encore heureux que vous n’avez pas accidentellement appris le Maléfice de Chauve-furie. De mon temps, c’était l’un des favoris. Liberacorpus !
Quand Soufflet agita sa baguette, Ralph pivota sur lui-même. Peu après, il redescendit jusqu’au sol, et se remit maladroitement sur ses pieds.
— Waouh ! dit-il, d’une voix tremblante. J’ai la tête qui tourne.
— Je suis désolé, professeur Soufflet, annonça Scorpius de la porte. C’est de ma faute. J’ai appris ce sortilège de mon grand-père. J’aurais dû éviter de montrer aux autres comment le faire. Je ne recommencerai pas.
— Je l’espère bien, dit Soufflet, bourru. Si j’étais rancunier, j’enlèverai des points à chacune de vos maisons respectives, mais je compte sur vous pour que ça n’arrive plus. (Il rangea sa baguette et se tourna vers Rose.) Jeune fille, vous m’avez interrompu au milieu d’une pipe très agréable. Mais c’est sans importance. Y a-t-il d’autres problèmes magiques que je puisse régler avant de retourner dans mon bureau ?
Les quatre élèves secouèrent la tête de façon unanime.
— Merci professeur ! s’exclama Rose d’une voix extasiée. C’est vraiment un plaisir de voir quelqu’un de votre stature en plein travail.
— Ce n’est rien, répondit Soufflet d’un air modeste. Bien sûr, je comprends. Bonsoir, jeunes gens. Et comme je vous l’ai déjà dit, ne m’appelez pas « professeur ». Je préfère Kendrick.
— Kendrick, répéta Rose, comme si elle savourait la sonorité des syllabes. Merci encore. Bonne nuit.
Quand le sorcier finit par disparaître, Scorpius revint sur ses pas avec James, Ralph, et Rose.
— C’était écœurant, dit-il.
— Je suis d’accord, dit Ralph. Rose, tu étais censée montrer ton admiration, pas te prosterner aux pieds de ta nouvelle idole.
Rose se rengorgea, comme si elle venait de recevoir un compliment.
— C’est rien, dit-elle. C’est une technique que j’utilise depuis des années avec mon père.
James eut un sourire.
— Rose, parfois tu me fais peur. Allez, on va au gymnase. Scorpius, comment ça s’est passé avec Tabitha, Philia et Albus ?
— Très bien, répondit l’autre, en haussant les épaules. Ils ont cru à mon histoire dès qu’ils ont vu passer Soufflet. Ils ne reviendront pas.
James fut le premier à atteindre la porte du gymnase. Il l’ouvrit, et pénétra à l’intérieur, avant d’allumer sa baguette. Dans l’obscurité, les membres du club étaient assis sur les matelas, en petits groupes, et chuchotaient tous avec excitation. Ils levèrent les yeux quand les quatre autres entrèrent.
— Bonsoir, tout le monde, dit James, en levant sa baguette sur sa tête. Comme je vous l’ai expliqué il y a quelques minutes, nous avons ce soir une annonce à faire. Après la semaine dernière, il y a eu beaucoup de discussions au sujet des trois sortilèges impardonnables. Scorpius est notre professeur, aussi c’est à lui de choisir ce qu’il veut nous apprendre. Mais avant que nous puissions connaître des choses vraiment puissantes et effrayantes, nous devons devenir meilleurs à ce que nous savons déjà, et passer du temps à nous entraîner aux techniques que le professeur Soufflet nous apprend en D.F.M.
— Mais pourquoi ? demanda Nolan Frelon en se relevant. Je pensais que l’intérêt de ce club était justement d’apprendre des sortilèges que Soufflet ne nous enseigne pas.
Ce fut Scorpius qui répondit.
— Le but de ce club est d’apprendre des techniques défensives, et de devenir le meilleur possible. Certains d’entre vous ne veulent que connaître des incantations rapides et des sortilèges ? Aucun problème. Mais si vous pensez être capables de vous battre aussi bien que nous autres après que nous ayons pratiqué l’Artis Decerto que Soufflet nous a montré l’autre jour, je crains que vous ne soyez très déçus.
James fut surpris d’entendre Ralph intervenir :
— D’accord, ce n’est pas très excitant de nous entraîner aux exercices que Soufflet nous propose, dit-il. Et c’est pourquoi nous devons aussi continuer à apprendre des sortilèges magiques. Mais James a raison. Nous devons tout apprendre ensemble. C’est la seule façon d’être vraiment le meilleur possible. Peut-être que certains d’entre vous ne sont pas d’accord, aussi je vous rappelle que c’est un club, pas un cours obligatoire. Vous pouvez partir quand vous voulez.
Nolan était toujours debout. Il remarqua que les autres le regardaient, et s’agita nerveusement.
— Et qui va nous apprendre ces trucs d’Artis Decerto ? Lui ? demanda-t-il en pointant Scorpius du doigt. J’imagine que même son grand-père ne lui a pas appris ça.
— Non, dit James, en regardant Scorpius. Nous aurons pour ça un autre professeur. Il n’a pas appris l’Artis Decerto lui-même, mais il travaillera avec quelqu’un qui le connaît très bien. À partir de maintenant, ils seront ensemble avec nous dans ce club.
— Ah oui ? demanda Frelon les mains sur les hanches. Et qui ça ?
— Moi, répondit une voix. Et elle.
Frelon fit un bond d’un mètre, et recula d’un pas en arrière quand deux fantômes traversèrent le mur près de lui.
James sourit en voyant Cédric avancer jusqu’au milieu de la pièce, éclairant l’atmosphère de la pâle lumière qui émanait de lui. Près de lui, la Dame Grise flottait doucement.
Frelon se laissa retomber sur le matelas, et regarda, les yeux écarquillés, Cédric et la grande sorcière pâle à ses côtés. Rose s’éclaircit la voix.
— Cédric, ça aiderait peut-être tout le monde si tu nous expliquais ton parcours.
Cédric la regarda, puis il hocha la tête.
— Bien sûr, dit-il aux membres du club. Je suis Cédric Diggory, et j’imagine que vous savez tous qui est ma compagne : la Dame Grise. Elle préfère que je n’indique pas son véritable nom, mais je vous assure qu’elle connaît l’Artis Decerto. Apparemment, à son époque, il était courant d’apprendre aux femmes cette technique défensive, et sa… sa mère souhaitait réellement la voir le mieux entraîné possible.
La Dame Grise parla d’une voix tenue, légèrement éthérée.
— J’ai appris les arts martiaux des sorciers avec le meilleur professeur du monde magique. Et il m’a affirmé que j’étais son élève la plus douée.
La plupart des élèves de la pièce avaient déjà vu la Dame Grise flotter, triste et solitaire, dans les couloirs, mais très rares étaient ceux qui avaient entendu sa voix. Graham Warton leva une main hésitante.
— Qui vous a enseigné l’Artis Decerto, Miss ?
La Dame Grise releva la tête d’un air hautain avant de lui répondre :
— Mon père. C’est lui qui l’avait inventé.
— Écoutez, dit Frelon, je ne veux pas vous manquer de respect, mais j’ai une question à vous poser. Si vous étiez tellement bonne pour éviter les sortilèges et les malédictions, comme ce que nous a montré Soufflet l’autre jour, comment se fait-il que vous soyez morte aussi jeune ?
La Dame Grise ne sembla pas troublée par la question de Frelon. Elle écarta le châle spectral qui lui couvrait les épaules, et découvrit l’avant de sa robe. Il y avait une horrible blessure béante au niveau du cœur, et une tâche aussi rouge que le jour où elle avait été faite.
— Comme vous pouvez le voir, répondit-elle, ce n’est pas un sortilège qui m’a tuée.
James se pencha vers sa cousine.
— Tu as obtenu ce que tu voulais, Rose, chuchota-t-il. C’est une sorcière qui nous enseignera l’Artis Decerto.
— J’aime vraiment beaucoup la nouvelle méthode de fonctionnement du club de Défense, James, dit Cameron Creevey en suivant James dans les escaliers, le samedi suivant. Qui aurait jamais pensé que la Dame Grise était ceinture noire en art martial magique ? Elle paraît toujours si calme et si tranquille. Et il y a aussi le fantôme de Cédric Diggory qui l’aide pendant les cours, qui aurait pu y croire ?
James marchait aussi vite que possible.
— Oui, Cameron, dit-il, je suis heureux que tu apprécies le club.
Ils passèrent devant un groupe d’élèves plus âgés alignés devant les portes d’entrée du château. Tous portaient des jeans, des imperméables ou des vestes de sport, et discutaient avec animation. Le professeur McGonagall était à la tête de la file, et elle examinait les parchemins que chaque élève lui tendait en passant devant elle. Noah lui agita sous le nez son autorisation de sortie.
— Oui, oui, Mr Metzker, pas la peine de faire un tel cirque, dit-elle. Dehors ! Et si jamais je vous surprends à ramener à l’école ces horreurs de papillotes à pétards, je ferai bien plus qu’enlever des points à votre maison, je peux vous le certifier. Au suivant.
Quand James sortit, toujours suivi de Cameron, Damien dévalait déjà les marches vers la cour.
— Quel dommage que tu ne puisses pas venir, James ! cria-t-il. Pré-au-lard est réservé aux élèves à partir de la troisième année, comme tu le sais.
Il agita ses sourcils d’un air entendu, et Sabrina lui envoya un coup de coude dans l’estomac. Cameron s’arrêta un moment pour regarder les élèves s’éloigner.
— J’aimerais vraiment pouvoir aller à Pré-au-lard ! s’écria-t-il avec ferveur. Mais il doit y avoir une très bonne raison qui empêche les plus jeunes de s’y rendre.
James s’arrêta aussi dans la cour, et se tourna vers le jeune garçon.
— Oui, dit-il. Dis-moi, Cameron, je suis certain que tu as d’autres choses à faire. Je ne veux pas te retarder.
Mais Cameron secoua la tête avec entrain.
— Non, pas du tout, je n’ai rien à faire. J’espérais juste que tu…
Il fut interrompu par Rose qui arrivait en courant, très essoufflée.
— James ! cria-t-elle. Ralph arrive. Il a emprunté un Scrutoscope à Trenton Block, cette andouille. L’avertissement de Zane l’a franchement rendu hystérique, surtout aujourd’hui puisque nous… Euh… Salut, Cameron.
— Salut, Rose, dit Cameron avec un grand sourire. Qu’est-ce qui se passe ?
Prise de court, Rose regarda James, les sourcils légèrement froncés.
— Quoi ? Oh… Rien. Rien du tout. C’est juste que… c’est samedi. Un samedi banal. Un jour où l’on n’a rien à faire.
— Pourquoi ton ami Ralph a-t-il eu besoin d’un Scrutoscope ?
James prit Cameron par les épaules, et essaya de le renvoyer vers l’entrée du château.
— Tu sais, Cameron, si tu n’as rien d’autre à faire aujourd’hui, ce serait une bonne idée que tu t’entraînes un peu aux sortilèges et aux exercices. Le gymnase est ouvert toute la journée. Je parie que tu retrouverais là-bas d’autres membres du club.
Cameron plongea sous le bras de James.
— Pourquoi vous ne venez pas tous les trois ? demanda-t-il. Tu as dit que tu n’avais rien d’autre à faire.
— Ce n’est pas que nous n’avons rien à faire, c’est juste… (Rose se racla la gorge.) Euh…
— C’est un secret, dit James.
Mais exactement au même moment, Rose annonçait :
— … c’est ennuyeux.
— C’est ça, c’est secret et ennuyeux, continua James en hochant la tête. Des trucs du club. Il faut préparer les prochaines rencontres, compter les membres, et… euh…
— … programmer quelques sorties en plein air, pour s’exercer différemment, ajouta Rose, le visage illuminé.
— Vous allez faire des entraînements du club en plein air ? demanda Cameron, le front plissé.
— Absolument, répondit James. Mais c’est un secret ! N’en parle à personne. Nous allons regarder pour vérifier si… euh…
— … Si c’est possible d’aller dans la Forêt Interdite, ajouta Rose, nous demanderons à Hagrid de chercher un endroit pour nous entraîner en Artis Decerto contre…
— … les centaures, dit James, en hochant la tête. Oui, ça me paraît bien.
Cameron les regarda l’un après l’autre, les yeux écarquillés.
— Les centaures s’y connaissent en Artis Decerto ?
— Bien sûr, affirma Rose, ce sont pratiquement eux qui l’ont inventé. En fait, pas vraiment, bien sûr, mais techniquement… euh… C’est un secret, alors n’en parle à personne, d’accord ?
— Hey, dit Ralph, qui s’approchait, sa sacoche sur l’épaule. Tout le monde est prêt pour aller…
— … voir Hagrid ! coupa James. (Il regarda Ralph et hocha nerveusement la tête.) Absolument, nous allons organiser une visite sur le terrain. Et il doit nous attendre. À bientôt, Cameron.
— Quoi ? bafouilla Ralph, mais je croyais…
— On t’expliquera, coupa Rose.
Les yeux légèrement étrécis, Cameron examina James, puis Rose et Ralph, puis il eut un sourire.
— Oui, bien sûr. D’accord, je garderai le secret. Je n’ai jamais vu de centaure. Ça sera marrant.
— Des centaures ? demanda Ralph à James. Tu ne m’as jamais parlé de…
— Attends un moment, Ralph, coupa James. Merci, Cam. Et reste discret surtout. À plus tard.
Cameron hocha la tête et recula. Il finit par se tourner, et disparaître dans l’entrée du château. Les trois élèves quittèrent précipitamment la cour.
— Mais qu’est-ce que vous racontiez ? demanda Ralph d’un ton geignard.
— Cameron est l’admirateur secret de James, dit Rose. Il a fallu qu’on invente n’importe quoi pour l’empêcher de nous suivre toute la journée.
— Tu es certaine de te rappeler où est le verrou secret ? demanda James, en changeant de sujet.
— Oui, répondit Rose. Gennifer l’a marqué d’une peinture verte. De loin, ça ressemble à de la mousse, sauf si on sait où chercher. Ça sera plus facile de le trouver cette fois.
Ils escaladèrent la colline, et aperçurent bientôt le Saule Cogneur. James trouva un long bâton sous un bouleau. Avec un sourire, il le montra aux deux autres. Rose hocha la tête d’un air sérieux.
— Tu es désigné à l’unanimité pour la mission d’ouverture, dit-elle. N’oublie pas d’appuyer fort dessus. Nous te suivrons sous les racines dès que le Saule Cogneur s’immobilisera.
James s’agrippa au bâton, et approcha de l’arbre. Le saule sembla réaliser son intention, il s’agita, faisant craquer ses racines. Puis ses premières branches fouettèrent l’air de façon menaçante.
— Baisse-toi, dit Ralph. Il faut que tu t’approches davantage de l’arbre pour pouvoir atteindre le bouton. Les plus grosses branches ne peuvent pas te toucher, mais si tu restes debout, tu vas te faire choper par les petites.
James s’accroupit autant que possible, puis il termina à quatre pattes pour se rapprocher. L’arbre le surplombait, avec des grincements violents. Une branche chercha à lui arracher son bâton des mains. Elle le rata, mais James sentit le vent lui effleurer le front.
— Fais attention ! cria Rose effrayée. Baisse-toi. Et va doucement.
James se pencha autant que possible, et tendit le bras, fixant désespérément le bout du bâton qui tremblait légèrement. Il voyait la peinture verte marquée sur le tronc, là où Gennifer Tellus l’avait posée un peu plus tôt dans l’année. En fait, la peinture formait un smiley au sourire béat. Le Saule Cogneur grinçait de plus en plus fort, et James sentait son ombre se pencher sur lui. Il avança le bras, et du bout du bâton, heurta enfin le bouton qu’il cherchait.
— Bravo ! cria Rose.
James entendit les deux autres courir derrière lui. Il se releva, dérapa dans l’herbe mouillée. Maladroitement, il se précipita vers la fente sombre entre les énormes racines du saule. Il tomba avec un bruit sourd dans la caverne sous l’arbre. Peu après, il entendit et sentit l’arrivée de Ralph et Rose. Ils atterrirent de chaque côté de lui, dans l’obscurité humide, le ratant d’un cheveu. James eut un rire soulagé. Il se remettait debout quand une quatrième silhouette se précipita dans le trou, et s’écrasa directement sur lui. Un genou le frappa en pleine poitrine, le vidant de tout son air. Plusieurs cris de surprise et de colère retentirent dans le noir.
— Mais qu’est-ce que… ?
Ralph se releva le premier, et agrippa l’intrus par le col au moment où Rose sortait sa baguette.
— Lumos ! cria-t-elle, en levant le bras.
La lumière éclaira la silhouette maigrichonne de Cameron Creevey. Pendu à la poigne solide de Ralph, ses pieds ne touchaient pas terre. Il avait le visage couvert de poussière et de morceaux de bois. Mais il souriait, tout heureux.
— Salut, les mecs, dit-il en haletant. Dément comme sortie en plein air !